L’influenceuse française, aux plus d’un million d’abonnés sur YouTube et Instagram, s’est fait connaître avec ses vidéos mode et beauté. Mais au bout d’un déclic, elle bouleverse tout, sa vie et son business model. Elle parle aujourd’hui des sources de l’addiction qui n’est pas si rare.

Son premier tuto beauté, publié sur YouTube en 2011, portait sur un fond de teint de la célèbre marque de maquillage M.A.C. Mais au fil des années, Sandrea, coiffeuse de profession, a diversifié sa palette de sujets. Sur sa chaîne, on discute mode, lifestyle et shopping. Exilé aux États-Unis, le YouTuber a rapidement rencontré le succès, notamment autour des séquences de déballage. Les abonnés affluent autant que les vêtements qui s’accumulent dans son placard. Jusqu’à « l’électrochoc » dû à plusieurs bouleversements dans sa vie. Il y a un an, Sandrea a décidé d’abandonner la fast fashion. Dans une vidéo YouTube déjà visionnée près de 100 000 fois, il fait le point sur son sevrage.

En vidéo, Sandrea revient sur son année sans fast fashion

Lire aussi Allo tristesse : une enquête sur les troubles affectifs

Désormais, Sandrea compte user de son influence à bon escient. Elle met désormais en garde sa communauté contre la mode jetable, dite « fast fashion », et ses abus sociaux et environnementaux. Car malgré leurs habitudes douteuses et douteuses, des marques comme Shein, Boohoo, Pretty Little Things ou Zara continuent de séduire la jeune génération ainsi que les influenceuses qui commandent des montagnes de vêtements (très) cheap. Et ce, alors même que les scientifiques du GIEC ont attiré l’attention, dans un rapport en avril dernier, sur le rôle que pourraient jouer les influenceurs dans la période de transition écologique. Une rencontre et une histoire de transformation.

A lire aussiBoohoo, l’emblème de la mode qui va trop vite ?

Madame Figaro.- Il y a un an, vous avez décidé d’abandonner définitivement la fast fashion. Quel a été le déclencheur ?

Sandrea.- Je réduisais déjà ma consommation depuis début 2019. A l’époque, ce qui m’a motivé à arrêter la fast fashion était avant tout lié à la qualité des vêtements, que je ne trouvais pas « durable ». Les coutures, la construction… ça n’en valait pas la peine. Mais je n’ai arrêté définitivement qu’en août 2021. A ce moment-là, je n’ai d’autres considérations que « comment je présente » et « comment le vêtement me tombe-t-il ». A travers la mode, je revendique l’accès à un certain environnement. Je me dis que si je suis habillée en Boohoo ça ne passera pas si je suis invitée à la Fashion Week ! Et puis il y a la crise sanitaire. Là, tout change.

J’étais dans le déni, je ne voulais pas accepter que j’avais tort

En quoi la crise du Covid a-t-elle été déterminante dans votre prise de conscience ?

C’est un gros déclencheur. Jusque-là, j’étais toujours en voyage, je n’avais pas le temps de me poser et du coup, je me retrouve à me regarder dans le miroir. Je vois des nouvelles annonçant que la nature reprend ses droits, que les dauphins sont revenus dans une zone pour la première fois depuis des années, par exemple… Tout cela fait partie d’un choc électrique qui m’aide à réfléchir à mon propre impact sur la planet.. Je suis en train de revoir ma façon d’utiliser, de créer du contenu sur YouTube et les réseaux sociaux. Je veux alors transformer mon influence, avoir un effet bénéfique et, pourquoi pas, créer une petite clique dans ma communauté. Toute cette période correspond à un grand questionnement aussi dans ma vie personnelle : je me sépare à l’époque de mon mari américain.

Votre communauté en ligne vous a-t-elle déjà averti de l’impact de la mode jetable ?

Pas au début, car nous n’étions pas encore forcément au courant des coulisses. Ensuite, des documentaires ont mis en lumière ce qui se cachait derrière la fast fashion et des commentaires critiques ont commencé à apparaître sous mes vidéos. Mais pour être honnête, je ne les ai pas regardés. J’étais dans le déni, je ne voulais pas accepter que j’avais tort.

Que signifiait alors la fast fashion pour vous ?

La fast fashion a comblé mon désir de posséder. Issu d’une famille modeste, je n’avais pas accès à tout. Enfant, j’ai longtemps repris celle de ma grande sœur. Puis j’ai grandi, j’ai gagné mon propre salaire et enfin j’ai réussi à combler le manque que ressentait « Sandrea, 13 ans ». Acheter de la fast fashion est devenu une habitude et un moyen d’exprimer ma personnalité. Je ne savais pas encore vraiment qui j’étais et je suis passée par tous les styles : rock, rétro, bohème… Je me sentais tellement vide et triste que passer une commande de 20 articles m’a procuré un petit moment de bonheur pour moi Puis j’ai déballé la commande, encore une fois j’ai ressenti du plaisir puis j’ai remis toutes les pièces dans la boîte. Ne jamais les porter ni couper les étiquettes. Avec le luxe, c’était pareil. J’ai aimé acheter des pièces de créateurs et cela m’a donné satisfaction un instant. Encore plus que la fast fashion, d’ailleurs, car je devais faire des économies et les gens me vantaient davantage.

À Lire  Bukavu : lancement de la 2ème phase d'installation de compteurs à...

Acheter de la fast fashion était le moyen de gérer mes émotions négatives

Peur de passer à côté, logique de récompense : on retrouve dans cette utilisation de la fast fashion les mécanismes de l’addiction…

Oui, c’est sûr. J’ai une personnalité addictive, c’est pourquoi j’ai toujours évité de jouer. Par contre, je n’étais pas consciente depuis longtemps que manger des vêtements pouvait devenir une addiction. Pour moi, acheter de la fast fashion était le moyen de gérer mes émotions négatives. Mais cela a eu un mauvais effet sur ma vie. Financière d’abord, car dépenser des milliers de dollars en magasinage a inévitablement des répercussions sur votre compte bancaire. Et puis, je me suis senti physiquement et psychologiquement oppressé au fond.

Dans une vidéo YouTube, vous parlez des baskets Balenciaga que vous avez fini par acheter alors qu’elles n’étaient pas votre style. Pourquoi avez-vous succombé aux tendances ?

Pendant des années, j’ai pensé qu’il était nécessaire de suivre les nouvelles tendances. Au fond, je cherchais l’approbation, la reconnaissance des autres. Aujourd’hui, après plus de trois ans de thérapie, j’ai réalisé que ça n’en valait pas la peine. Je veux être plus authentique et montrer ma vraie personnalité sur les réseaux sociaux. Et tant pis si je n’ai pas la validation de tout le monde.

A un moment, je n’aurais jamais osé m’exhiber deux fois dans la même tenue

Il est rare de voir des influenceurs apparaître plusieurs fois avec les mêmes vêtements. Comment les médias sociaux ont-ils affecté votre surutilisation ?

Il est certain que les réseaux sociaux ont accru mon appétit pour les « vêtements ». D’autant plus qu’à un moment, je n’aurais jamais osé me montrer deux fois avec la même tenue. On me l’aurait dit et je me serais senti mal à l’aise, honteux. Aujourd’hui encore, je reçois parfois des commentaires me disant que je porte les mêmes vêtements. J’ai envie de dire : « Oui, je les aime bien, ils me vont bien, où est le problème ? » Mais depuis plusieurs années, j’ai accepté ce diktat des réseaux. Sans ça, je n’aurais jamais autant mangé, je n’aurais pas eu d’injections, modifié mon corps, dépensé autant d’argent, voyagé dans certains endroits…

En tant qu’influenceur, certains de vos contenus étaient associés à des marques de fast fashion. Cette décision de cesser d’avoir un impact sur votre entreprise ?

Oui, j’ai dû arrêter certaines collaborations. Il y a des marques qui ne veulent plus travailler avec moi parce que je vais à l’encontre de ce qu’elles font. Et puis, il faut savoir que la plupart de mes contenus sont affiliés : j’en ai tiré une ressource financière. Revoir mes usages signifiait donc aussi revoir mon business model et accepter de perdre de l’argent.

Quand on fait le point sur la consommation de la fast fashion, faut-il alors privilégier les marques vertes et éthiques ?

Acheter vert et éthique c’est bien, mais c’est quand même chronophage et toujours. De mon point de vue, lorsque la prise de conscience écologique émerge, tout doit changer dans la vie : on peut décider d’acheter mieux mais il faut surtout réduire notre consommation en général. C’est vrai pour tout : la mode, la déco… Maintenant, j’essaie d’acheter le plus de brocante possible : jouets, meubles et même fast fashion. Beaucoup de choses existent déjà, alors autant les diffuser et les utiliser. D’autant plus qu’il y en a pour tous les goûts et pour tous les portefeuilles. Car, qu’on se le dise, tout le monde n’a pas forcément les moyens d’acheter des pièces éthiques.

En vidéo, l’industrie de la mode en 12 chiffres

En quoi manger moins a-t-il été vertueux pour vous ?

C’était par tous les comptes. Déjà, j’ai moins de lessive et de lessive pour faire ça moins de charge mentale. Alors, aujourd’hui, je me sens si fier d’avoir repris le contrôle de mes pulsions. Je n’ai même plus envie d’acheter. Ma pensée est maintenant plutôt, « Que dois-je faire pour réduire mon empreinte carbone? » C’est devenu un nouveau défi pour moi.