La maison Saint Laurent a présenté son défilé homme printemps-été 2023 dans le désert d’Agafay au Maroc, devant Catherine Deneuve, Béatrice Dalle et Dominic Fike. S’il se voulait éco-responsable, l’événement flirte avec le greenwashing.

Le phénomène optique des mirages résulte de la déviation des faisceaux lumineux par la superposition de couches d’air de chaleur différente, dans une atmosphère où la température, la pression et l’humidité ne varient pas verticalement selon la normale. On peut donc se retrouver en plein désert et avoir l’impression de voir surgir de nulle part une oasis… ou un défilé de mode. Mais là, ce n’était pas un mirage, mais le dernier défilé d’une grande marque de mode.

Le 15 juillet 2022, la maison Saint Laurent dirigée artistiquement par Anthony Vaccarello (depuis avril 2016) a présenté sa nouvelle collection homme printemps-été 2023. C’est en dehors de la semaine de la mode masculine conçue à cet effet. Et pour cause : il a défilé à Agafay, un désert situé à une trentaine de kilomètres de Marrakech. Ainsi aux abords de la ville rouge, sur les hauteurs du massif du Haut Atlas au Maroc, des silhouettes élancées et androgynes se frayaient un chemin.

Le défilé Saint Laurent homme printemps-été 2023 dans le désert d’Agafay

Au milieu des dunes de sable beige, il y avait aussi une œuvre de l’artiste Es Devlin, sous la forme d’un immense anneau lumineux sur l’eau. Une scénographie que veut Anthony Vaccarello, inspirée d’un passage du roman Un thé au Sahara (1949) de l’écrivain américain Paul Bowles (1910-1999) : « Combien de fois continuez-vous à regarder la pleine lune se lever ? Peut-être vingt fois . Et pourtant, tout semble sans limite. »

Cette installation massive pourrait évoquer autant un mirage d’oasis minimaliste qu’une lune crépusculaire (ou une parodie de la série Stargate SG-1). Ce qui est une toile de fond évanescente pour les trenchs fluides, les capes de velours aérées, les pantalons larges et fluides en tricot et un certain nombre de chemisiers torrides. Et bien sûr, de nombreux smokings en grain de poudre, signature stylistique de la maison.

Derrière le mirage d’un défilé-spectacle, du greenwashing ?

Si l’on peut considérer cette collection comme sublime, et se réjouir qu’Anthony Vaccarello ait évité le danger d’une collection hommage à la première classe du Maroc, on peut aussi s’interroger sur son empreinte écologique. Certains médias saluent les efforts de la maison pour compenser son empreinte carbone. Comme l’écrit Vanity Fair France :

« En défilant en dehors du calendrier officiel, et donc ne pouvant profiter de la presse, des influenceurs et des acheteurs présents à la Fashion Week de Paris, il est essentiel qu’elle marque les esprits – ce que ce défilé est comme personne d’autre n’en a [sic] . sans doute réussi. Mais à l’heure où la conscience environnementale se précise chaque saison [sic], Saint Laurent a mis en place un dispositif important dans le but de limiter au maximum l’empreinte de l’événement, à commencer par la consultation d’experts locaux de la flore et de la faune, notamment les reptiles et la faune. des oiseaux. Le long des parcours parcourus pour emmener les invités jusqu’au fourgon [sic] du cortège, des canalisations spécifiques ont été installées pour permettre l’abri des animaux, notamment ceux des zones humides. L’eau utilisée, qui n’est pas potable, sera ensuite utilisée pour des projets d’irrigation dans le désert d’Agafay. »

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Cependant, il faut faire semblant d’ignorer que toutes ces belles personnes qui étaient invitées, comme Catherine Deneuve, Béatrice Dalle, l’acteur d’Euphoria Dominic Fike, ou encore le membre du boys band sud-coréen GOT7 Mark Tuan, ne sont certainement pas de passage au hasard à Marrakech. le jour du défilé. Ils doivent avoir été affrétés par la maison pour assister à ce défilé de 10 minutes en prime time (c’est le temps moyen d’un défilé de mode, et cela est confirmé par la vidéo complète de l’événement, qui dure 9h47 minute… ). Il en va de même pour la cabine de mannequinat et le staff Saint Laurent pour maquiller, vêtir, nourrir et hydrater cette escouade.

Un défilé représentatif de l’ambivalence de l’industrie face à l’urgence climatique

Loin d’être une exception, ce salon et sa réception médiatique montrent une fois de plus l’ambivalence, pour ne pas dire l’aporie, de l’industrie de la mode face aux enjeux environnementaux. Elle veut sans cesse susciter le désir et le renouveler, en enchaînant les nouvelles collections, et les présentations spectaculaires (donc coûteuses d’un point de vue financier, social et environnemental) pour faire rêver, et inviter de belles personnes à faire parler. Et en même temps, la maison souhaite aussi se présenter comme étant consciente de l’accélération de l’écocide dont nous souffrons tous, quitte à verser dans le green wash et le social washing (faire semblant de se soucier des questions de justice sociale à des fins marketing). Et la presse de mode, financée principalement par ces marques de luxe, n’a d’autre choix pour sa propre survie économique que de répéter absurdement les éléments de langage qu’elles fournissent afin d’essayer en vain de justifier tout ce système.

Alors que la France (comme beaucoup d’autres pays) traverse actuellement une canicule épouvantable, la rumeur veut que la maison française Saint Laurent n’aura pas besoin de se rendre au Maroc pour trouver un désert pour défiler prochainement…

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