La Maison Ullens a annoncé lundi la nomination de son nouveau directeur artistique : Christian Wijnants. Rapidement, le rendez-vous est pris pour un entretien vidéo avec le créateur belge. Le nouveau DA nous a parlé de sa collaboration avec la Maison Ullens, partageant sa vision de la mode belge, du luxe et de la collaboration. Rencontrer.
FashionUnited : Vous venez d’être nommé directeur artistique de Maison Ullens et travaillerez aux côtés de Myriam Ullens, la fondatrice. Quel sera le processus créatif ?
Christian Wijnants : En fait, nous avons travaillé ensemble pendant une saison. J’avais déjà commencé la saison estivale il y a huit mois, j’ai donc fait du consulting pour l’hiver et là j’ai vraiment aidé à la levée de fonds. Ça va très bien. Au départ, Myriam et moi discutons des envies, des thèmes que nous aimerions porter, je conçois les collections puis c’est avec l’équipe de création, de production et de la Maison Ullens. Je vais au studio une fois par semaine, à peu près, et Myriam vient de temps en temps au bureau pour voir avec moi l’évolution de la collection. C’est vraiment une collaboration où Myriam me confie certains de ses souhaits et me parle beaucoup de ses voyages. Au fur et à mesure que la collection se développe, on change un peu les choses selon l’air du temps, selon ses propres expériences. Mais en principe je travaille sur un mood board en début de saison, je dessine les collections, choisis les matières, les couleurs etc. et je lui présente. Elle me guide en me montrant les boutiques, les clients, mais après c’est moi qui lui propose des nouveautés, des idées et des créations.
Les collaborations à la tête de grandes maisons de couture sont de plus en plus fréquentes. Quel regard portez-vous là-dessus ?
Il améliore définitivement une marque. Même au sein de ma marque [ndlr : Christian Wijnants a lancé son label éponyme en 2003], collaborer avec les gens me tient à cœur. C’est-à-dire que sur la collection, sur les chaussures, sur les accessoires, j’essaie de m’entourer de personnes avec qui je communique. Je pense que tout créatif aime avoir un second regard, un troisième regard, avoir un regard différent, etc. Je pense que c’est toujours un enrichissement et je ne comprends pas pourquoi ce n’était pas déjà le cas il y a 10 ou 15 ans. C’est enrichissant pour les différentes parties. Cela peut apporter beaucoup de nouveautés.
Pourquoi avoir dit oui à Maison Ullens ?
Je connaissais bien la Maison Ullens avant, car en Belgique c’était assez connu. Et puis j’aime beaucoup tricoter, je travaille beaucoup avec mes collections. La Maison Ullens est une belle maison car elle fait de très beaux tricots, la qualité est extrêmement élevée, il y a beaucoup de belles usines avec lesquelles nous travaillons. On ne peut pas dire non à une collaboration avec une si belle maison, travaillant avec des usines qui sont toutes en Europe, presque toutes en Italie, avec des machines et des techniques vraiment de premier ordre. C’est une rencontre très agréable. Je suis très heureux de pouvoir le faire.
Dans le communiqué annonçant votre nomination, Maison Ullens indique sa volonté d’« affirmer encore le caractère belge de la maison ». Qu’est-ce que la création mode en Belgique aujourd’hui ?
C’est assez difficile à décrire car je suis moi-même Belge et parfois c’est plus facile de voir les similitudes de l’extérieur. Je pense que c’est assez varié. Il y a des créateurs belges qui ont des styles très différents. Je ne pense pas qu’on parle forcément d’un style, mais plutôt d’une façon de travailler, d’un sens de l’humour, d’une liberté dans le sens où la mode belge n’est pas très ancienne. Ce n’est pas comme à Paris ou à Milan où il y a une hiérarchie dans la mode, une histoire parfois lourde dans certaines maisons. En Belgique, les gens font de la mode depuis peu de temps, donc il y a une sorte de liberté de travail. Quand je travaillais dans une maison parisienne c’était un peu vieillot, il y avait beaucoup d’histoire, beaucoup de passé. Cela peut parfois peser un peu et je trouve que justement en Belgique les créateurs sont peut-être plus libres par rapport à l’histoire etc.
Je trouve qu’il y a aussi beaucoup de créateurs belges qui ont un style authentique, chacun fait ce qu’il veut et ne regarde ni à gauche ni à droite, ne cherche pas forcément à suivre des diktats ou des tendances, etc. En règle générale, peut-être aussi ce côté humble. Nous ne sommes pas forcément des créateurs qui recherchent des célébrités, des tapis rouges etc. Mais nous fabriquons vraiment des vêtements à utiliser dans la vie de tous les jours. Tous les créateurs belges que j’admire sont des créateurs qui habillent de vraies femmes, ce n’est pas juste une silhouette dont on se souvient lors d’un défilé et qu’on ne reverra jamais. C’est ce côté très réaliste, pragmatique.
«J’aime bien penser à la Maison Ullens comme une maison qui investit dans le futur.»
Cela rejoint une certaine définition du luxe actuel. Justement, pour vous, qu’est-ce qu’une pièce de luxe en 2023 ?
Pour moi, le luxe est associé au confort, au plaisir. C’est un mélange. Le luxe à la Maison Ullens est d’avoir des produits magnifiques. La qualité est extrêmement élevée. Les produits sont si beaux, vous pouvez même les utiliser à l’intérieur ou à l’extérieur, il y a de nombreuses pièces réversibles. C’est du luxe, il a de magnifiques qualités, qui vient d’Italie, qui est fabriqué dans de beaux ateliers, où les choses sont faites à la main, à l’ancienne. Et l’idée d’avoir des pièces intemporelles, je pense que c’est ça qui définit le luxe, des pièces qui sont un investissement, qu’on a envie d’avoir pendant 20, 30 ans, voire plus longtemps, qu’on a envie d’offrir à la relève, qui ne ‘t est obsolète après une saison. J’aime penser à la Maison Ullens comme une maison qui investit dans l’avenir.
Pourriez-vous décrire une pièce que vous aimez particulièrement ou qui pourrait devenir un best-seller chez Maison Ullens ?
Elle compte déjà des best-sellers qui se renouvellent de saison en saison. Cette saison, j’ai essayé d’apporter plus. Nous avons également travaillé sur des pièces appelées « Travel Kit » qui sont réversibles. Ce sont de très belles jauges, une jauge 18. Le temps de tricotage est très long. Il y a une couleur au-dessus et l’autre en dessous, vous pouvez donc utiliser les pièces en les retournant. Il y a surtout un grand cardigan que nous avons fait en deux couleurs, très ample, avec des manches droites, sans boutons, qui est relativement joli, fluide et féminin, quelque chose de très épuré, de très simple. C’est une pièce dans laquelle j’aimerais passer toute ma vie. Un cardigan dans lequel on peut se blottir. C’est cette idée de confort, de cocooning, que j’aime beaucoup… quand on est dans l’avion ou quand vous êtes sur le canapé le dimanche après-midi en train de regarder un film, ou dans la rue. Il y a aussi cette élégance quand on marche, ce côté un peu dramatique quand le gilet s’ouvre car il est très long. J’adore ce genre de pièces très simples, presque évidentes, qu’on se dit « il fallait l’avoir ! ». Ce sont des pièces que nous renouvellerons à l’avenir.
Concernant la cadence des collections, quelle est-elle?
Ce sont deux collections, ou thèmes, par an. Mais c’est juste qu’on va travailler un peu avec des capsules, c’est-à-dire qu’il y aura une première livraison, une deuxième livraison… En fonction des demandes, de ce qui sera livré dans les magasins. Mais nous n’entrerons pas dans le système de pré-collecte. Ce sera printemps-été, automne-hiver.
Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?
Le réseautage social est un peu une chose d’amour et de haine que j’ai eu depuis sa création. J’ai peut-être passé un peu trop de temps à aimer les réseaux sociaux pour leurs aspects positifs. Au début j’étais très critique et maintenant je sens qu’il y a encore quelque chose de merveilleux, c’est-à-dire que chacun peut parler de ce qu’il veut, montrer ses idées, son côté créatif. Quelqu’un qui a un travail qui peut être un peu ennuyeux peut devenir une personne super influente sur Instagram, avec des idées créatives dans de nombreux secteurs différents. Ça m’a pris du temps, mais je trouve que c’est quelque chose d’incroyable de pouvoir se dire qu’il n’y a pas forcément que les gens de la mode qui parlent de mode, et finalement, il y a 10, 15 ou 20 ans en fait on ne voyait qu’un tour d’horizon assez volontaire de mode, professionnels, journalistes ou stylistes uniquement. Donc, aujourd’hui, nous pouvons jeter un regard neuf. Je le trouve enrichissant.
Quel(s) compte(s) suivez-vous sur Instagram ?
Je ne suis pas beaucoup d’influenceurs. Mais je suis des magazines, GentleWoman par exemple, WWD ou FashionUnited, etc. C’est un mélange entre des trucs informatifs et des sujets de fond. Et évidemment il y a certains influenceurs que je suis parce que leur style m’inspire. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux toute la journée, mais occasionnellement. Il y a une liberté et une facilité et ce genre de démocratisation de l’information qui m’a dérangé au début parce que je trouvais que tout coulait, tout allait très vite. J’ai toujours aimé Martin Margiela parce qu’il ne se montrait pas, parce que l’étiquette ne montrait pas son nom, c’était une discrétion. J’ai toujours apprécié ça dans la mode, quand il y a du mystère et qu’il faut regarder.
Mais à présent certains créateurs et marques imaginent même des pièces en fonction de ce qu’elles rendront visuellement sur Instagram…
Ce qui est étonnant, c’est qu’il y a 15 ans je n’avais aucune idée de la durée de vie de mes vêtements après leur création. J’ai fait un défilé, j’ai vendu la collection, les collections ont été envoyées aux quatre coins du monde. Et puis je n’avais aucune idée de ce qui s’est passé ensuite. Maintenant, je vois le client poster en Nouvelle-Zélande, au Japon, à Hawaï, à New York ou le magasin montrant ses vitrines. Je vois l’influenceur porter mes vêtements lors d’un festival. Je vois en fait la vie du vêtement que je ne voyais pas du tout avant. C’est toujours étonnant de savoir ce qui se passe ensuite, de savoir que la robe a été, disons, portée lors d’un barbecue au Texas comme celui-ci. Avant, on voyait de temps en temps une actrice porter une robe lors d’un festival et c’est tout. Maintenant c’est quelque chose de fascinant de voir mes collections prendre vie, qui évoluent, qui m’apportent beaucoup. Je ne passe pas ma vie à le regarder, mais c’est toujours agréable de voir comment les gens l’interprètent. Parce que je fais des propositions, un certain regard, mais après les clients font ce qu’ils veulent. Ils définissent eux-mêmes le style qu’ils veulent donner au vêtement. C’est très excitant en tant que designer de voir les vêtements que vous avez créés dans un contexte complètement différent.
Votre marque éponyme fête ses 20 ans. Quels sont les projets d’avenir ?
Nous venons d’ouvrir un deuxième magasin à Berlin. C’est vrai que l’idée d’ouvrir des magasins me tient à cœur car j’aime l’expérience de vente, l’expérience d’aller dans un magasin, de faire ses courses, de voir les produits. Même si le online est aussi un succès, j’aimerais ouvrir un troisième, un quatrième, un cinquième magasin d’ici deux ou trois ans. Et peut-être aussi développer, encore une fois, l’homme du futur. On l’a mis un peu de côté pendant le covid.
Une ouverture de boutique à Paris peut-être ?
Nous ne sommes pas forcément pressés. Ouvrir un magasin est vraiment une histoire d’opportunité, il faut être amoureux d’un lieu. Mais nous voulons vraiment ouvrir à Paris dans les deux ou trois prochaines années.
Pour terminer, qu’est ce qui vous inspire particulièrement en ce moment ?
Ce qui m’a beaucoup inspiré récemment, c’est une exposition sur l’artiste Urs Fischer à Mexico.