C’est comme une valse viennoise dans l’air. Cet automne, il y a un film et deux superbes séries mettant en vedette une impératrice autrichienne dépouillée. Une analyse de ce qui, en 2022, la rend si fascinante.

Avec deux nouvelles séries qui cartonnent sur les scènes (« Sissi », sur Salto, et « L’Impératrice », dans le top 10 de Netflix depuis deux mois) et un long métrage primé à Cannes (« Corsage », sorti le 14 décembre ), Elisabeth d’Autriche est la reine des médias cet automne, soixante-cinq ans après la douce trilogie qui a fait découvrir au monde entier le personnage et aussi son interprète, Romy Schneider, alors âgée de 17 ans. Pourquoi ce nouvel intérêt ? Sans doute parce que, selon l’angle que l’on choisit de porter sur elle, Sissi, personnage aux multiples facettes, brille de mille feux différents.

Sissi, c’est notre histoire                                                                                       

Comme l’autre reine Elizabeth, celle qui s’écrit avec un Z (vous savez, celle qui a disparu en Grande-Bretagne récemment), Sissi a cette distinction sur tout personnage de fiction : elle a vécu. En fait. Plus facile de s’émouvoir de joies et de peines réelles – ou supposées –, surtout quand, inlassablement, on nous présente des versions inédites. Aujourd’hui, pas moins de trois générations ont pu voir la trilogie « Sissi » de Romy Schneider : qui d’entre nous n’a aucun souvenir des fêtes de Noël sur les DVD (VHS ?) de sa grand-mère regardée emmitouflée dans une couverture, fascinée par tant de choses anciennes la mode kitsch : les crinolines, les valses, la belle-mère sauvage, la voix française fluide que Romy doublait (« mon papili ») !, tout cela fait partie du patrimoine culturel répondeur. Alors quand on nous propose d’y retourner… c’est aussi tentant qu’une viennoiserie tiède et dorée.

Sissi, c’est une rebelle                                               

Evidemment on ne peut plus traiter le personnage de Sissi comme dans les années 1950. Jusqu’à présent, seuls des hommes avaient signé les films la mettant en vedette (Ernst Marischka pour la trilogie, Anatole Litvak et Terence Young en deux versions, Luchino Visconti pour « Ludwig, le crépuscule des dieux » en 1973, la liste serait trop longue) .Tous ont représenté Sissi, une jeune fille tour à tour objet et victime d’un système bien plus puissant qu’elle.Cependant, sur les trois tentatives récentes, deux ont été écrites et réalisées par des femmes : Katharina Eyssen pour la mini-série « L’Impératrice », et Marie Kreutzer pour le film « Corsage ». Et ça change tout. Loin du voile masculin, elles s’attachent à montrer Sissi qui « grince » et se rebelle, non pas en rougissant son joli nez et en cassant des vases, mais en questionnant le patriarcat Une version qui fait tousser certains historiens, mais qui, en 2022, réconforte nos cœurs féministes.Quand Sissi quitte encore et encore la cour de Vienne qui l’opprime pour partir au soleil pendant des mois, comment ne pas pensez à certains « Nous nous levons et cassons » ?

Sissi, c’est le plaisir des yeux                                             

Ce que nous aimons des princesses, c’est qu’elles ressemblent à des princesses. Dans « Sissi » de Salto comme dans « L’Impératrice » de Netflix, les deux comédiennes, Dominique Devenport et Devrim Lingnau, campent des Elisabeth de 15 ans aux joues roses, tout en rubans, dentelles et cheveux de fée recouverts d’étoiles de diamant. Quand Sissi danse un quadrille avec Franz, c’est Raiponce qui virevolte sur le parquet du château de Schönbrunn. Et quand elle parcourt la campagne en amazone sur son cheval noir, c’est l’image exacte de ce que la vie aurait dû nous offrir, si nous n’avions pas eu si peur sur notre poney de 11 ans. Le film de Marie Kreutzer, plus radical, plus ambitieux aussi, nous offre une Sissi quadragénaire et neurasthénique, mais la beauté de Vicky Krieps, ses costumes inouïs et les décors muséaux où elle se promène avec sa malice tout de même. réaliser nos fantasmes de petite fille.

Sissi, c’est tragique                                                                                                          

La fille qui a tout pour être heureuse et ne peut pas le faire, un concept qui contribue à la libération collective, et ce n’est pas Diana, princesse de Galles, qui nous aurait contredits. Comme elle, Sissi, belle et bien née, mariée très jeune, comme elle, elle a choisi d’épouser un futur roi dont elle était amoureuse, comme elle, sa beauté n’a pas réussi à retenir le palefrenier volant, comme elle, l’inflexibilité la le tribunal a fini par l’étouffer. Et le sort d’Elisabeth de Bavière est encore plus tragique que celui de Diana Spencer : elle enterre deux de ses quatre enfants, dont son fils unique, Rudolf, l’héritier du trône, retrouvé mort à Mayerling avec sa maîtresse de 17 ans. . ans, Marie Vetsera. Au-delà de la douleur, le scandale va l’écraser. D’autres morts brutales ont suivi, dont celle de sa sœur dans l’incendie du Bazar de la Charité à Paris. De sa naissance à son assassinat par un anarchiste à Genève en 1898, la tragédie a toujours accompagné Sissi, dont on disait que la famille était maudite. En effet, les Wittelsbach, qui régnèrent sur la Bavière du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, donnèrent l’histoire d’un nombre considérable de fous, à commencer par le roi Othon Ier de Grèce, prince de Bavière, qui aboya – littéralement – en mangeant saleté qui a mordu ses serviteurs, et son frère aîné, le cousin bien-aimé d’Elizabeth, Louis II de Bavière, qui se serait suicidé en sautant dans un lac avec son psychiatre. Sissi, ou quand les névroses des puissants nous font relativiser nos malheurs.

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Sissi, c’est punk                                                 

Dans ses versions 2022, l’Impératrice Elisabeth n’est plus une jeunesse innocente jetée sans défense dans le monde pervers des adultes. Il est amusant de découvrir, dans la série « Sissi » et dans « Corsage », des scènes où l’héroïne se masturbe volontairement, dans son lit, à 15 ans dans le premier cas, et dans sa baignoire, à 40 ans, dans le second. Et ce n’est pas sa seule « humiliation », loin de là. Dans les trois « Sissi » de cet automne, l’impératrice fume comme un extincteur, ce qui horrifie la cour – un fait avéré par les historiens, qui rappellent même que le « mauvais exemple » d’Elizabeth a causé la mort en 1867, la robe d’un de ses petits cousins qui voulait l’imiter en catimini encore en feu. Mais la plus rock and roll de toutes les reines hongroises de l’automne est Vicky Krieps, la meilleure actrice dans la sélection « Un certain regard » à Cannes enfin pour « Corsage », qui, ne voulant pas faire semblant de s’évanouir ou louer un look – comme échapper à la obligations qui le tracassent, lui couper les cheveux (ils auraient pesé cinq kilos, lui causant d’atroces migraines), tromper Franz – le tout dans de fausses brûlures – avec un niveleur, rouler des pelles sur ses filles qui attendent et prendre de l’héroïne pour calmer ses insomnies. Sissi est – aussi – Janis Joplin.

Sissi, c’est la mère des influenceuses                                                            

Sissi n’est pas la première souveraine à lancer des modes (bonjour Marie-Antoinette, une autre Autriche), ni le premier peuple royal obsédé par son apparence (bonjour Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Mmes de Montespan, de Pompadour, tant d’autres), mais plusieurs éléments de sa biographie, mis en lumière dans ses derniers biopics, laissent entendre qu’elle coulerait les sœurs Kardashian ensemble en 2022, sur les réseaux. D’abord par son rapport au corps, complètement névrosé. Dans chacune de ses résidences, Sissi avait une salle de sport où elle s’épuisait chaque jour sur le matériel. Chaque jour, et même certaines nuits, l’impératrice chevauchait son cheval pendant plusieurs heures. On a émis l’hypothèse qu’elle était anorexique, « Corsage » (titre faisant référence au corset qu’elle portait en permanence pour que son tour de taille reste inférieur à 51 cm), « L’Impératrice » et « Sissi », on nous montre : elle passe son temps à marcher sur sa balance et repoussant les assiettes. Et les historiens le confirment : afin de garder son poids de 50 kilos pour 1,72 mètre, elle se pesait tous les matins et ne mangeait que des liquides : lait, soupe de poulet et jus de viande rouge. Son déjeuner, qui comprend une boisson obtenue en écrasant 6 kilos de bœuf, pourrait être la recommandation « miracle » d’une influenceuse non-vegan déjantée. Obsédée par ses cheveux, qu’elle avait l’habitude de brosser comme femme de chambre pendant des heures, Sissi serait aujourd’hui l’impératrice des séances de tutorat coiffure, comme du reste. En plus de cela, Elisabeth d’Autriche était accro à la mode et aux bijoux, et dépensait des sommes folles pour cela. Adepte du couturier Worth (le Balenciaga à l’époque), elle fait confectionner ses robes par une trentaine de couturières en même temps pour réduire le délai habituel d’un mois à… deux jours et commande parfois ses bijoux en double, comme son lot de diamants étoiles à coller dans ses chignons : l’un d’entre eux sera légué à sa fille Marie-Valérie, et l’autre, contenant 27 pièces, distribué à ses followers (disciples ?). Sissi l’a fait, et son il se surnomme « l’infatigable mouette », traverse l’Europe et atteint même la lointaine île de Madère : en voyageant par des influenceurs, cela aurait été parfait. Et que dire de son « escale » de deux ans à Corfou ? L’impératrice y commença une collection de photos de femmes qu’elle poursuivra jusqu’à sa mort. Sissi sans filtre, en somme.