A l’occasion de la Journée nationale des aidants, le 6 octobre, Faire-face.fr leur donne la parole. Justine*, 48 ans, s’occupe depuis quatre ans de son frère Antoine, 46 ans, atteint de maladie mentale. Pour pallier le manque de soutien, elle a mis sa vie professionnelle et sociale entre parenthèses. Elle a trouvé du soutien dans des groupes de discussion réunissant des proches de patients.
Faire-face.fr : Quand avez-vous appris que votre frère souffrait de maladie mentale ?
Justine : Il y a quatre ans, nous avons eu une relation à distance. C’était un enfant plutôt calme, renfermé et qui avait peu d’amis. Je repense à deux mises en garde. Il y a une quinzaine d’années, il s’est présenté aux urgences psychiatriques à cause d’idées noires. Et récemment lors d’une dispute sur un sujet apparemment innocent. Il a commencé à casser des assiettes et à se mettre en colère contre moi. Mais je n’avais aucune idée de l’ampleur de ses problèmes. Il me semble que ma mère était dans le déni. Et moi, j’ai été enlevé à ma vie.
F-f.fr : Depuis quand es-tu devenu le soignant de ton frère ?
J. : Un jour, il m’a écrit pour me dire qu’il avait une copine, qu’ils avaient emménagé ensemble. Et là commença la descente aux enfers. Elle souffrait également de troubles mentaux. Elle était très manipulatrice et extrêmement violente. Il fallait le sortir de cet engrenage, organiser son déménagement. J’ai pris une semaine de vacances. Je suis passé en mode commande. Il est retourné vivre chez ma mère et a été suivi par un psychiatre. Peu à peu, j’ai découvert la situation dans laquelle il se trouvait.
En effet, ses troubles mentaux l’avaient amené à souscrire des abonnements coûteux pour faire des projets coûteux qui le mettaient en péril financièrement. Nous avons dû prendre les choses en main. Pendant six mois j’ai passé beaucoup de temps avec lui pour faire toutes les démarches auprès de la police, des banques, des psychologues, des impôts, des tutelles, de la MDPH…
C’était facile de l’aider. Je devais agir. Mon frère était en danger. »
F-f.fr : Comment vivez-vous ce rôle de soignant ?
J. : Cette décision m’a été imposée par un enchaînement de circonstances. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir ! Je ne me suis pas vraiment posé la question. C’était facile de l’aider. Je devais agir. Mon frère était en danger. Comme il a une très faible estime de soi, il manque de jugement. Il dit oui à tout le monde. Et si vous saviez tous les méchants qui rôdent autour des personnes fragiles !
Aujourd’hui il va mieux. Les choses se sont stabilisées. Mais le manque d’accompagnement et de suivi est flagrant. C’est pourquoi je garde un œil sur lui car il reste fragile. Il aimerait se former pour changer de métier, mais les perspectives ne sont pas très bonnes.
Quant à moi, j’ai vécu pendant près d’un an comme un zombie. C’est épuisant de tout décider pour quelqu’un d’autre, même quand on essaie de le connecter. Nous ne nous sentons pas toujours légitimes. Ma vie sociale en a également pris un coup. Mes amis en avaient assez que je leur parle seulement de mes soucis. Je me suis isolé. J’ai mis ma vie professionnelle entre parenthèses. Finalement, ma santé a pris un péage. On m’a diagnostiqué un cancer du sein, qui heureusement a été pris en charge à temps. Si la connexion est difficile à établir, tout ce stress n’y est probablement pour rien.
J’ai rejoint des groupes de discussion pour tenir à distance tout ce que je traversais. »
F-f.fr : Où avez-vous trouvé de l’aide ?
J. : J’avais plus besoin d’un soutien moral et psychologique que d’une aide pour les formalités. Lorsque nous cherchons, nous trouvons, même si cela prend une éternité. Parce que je suis assez débrouillard. Le seul problème est le temps de réponse des structures administratives et de trouver le bon interlocuteur. Très vite je me suis tourné vers l’Unafam. J’ai rejoint des groupes de discussion pour tenir à distance tout ce que je traversais. Ils m’ont soutenu quand j’étais submergé par le découragement.
F-f.fr : Que conseilleriez-vous à une personne qui éprouve à devoir s’occuper d’un proche souffrant de troubles mentaux ?
J. : Avant tout, n’oubliez pas de prendre soin de vous, de gagner du temps pour vous amuser (sport, culture, balades, etc.) et décompresser… Si vous êtes épuisé, vous ne pouvez pas vous empêcher plus. Et n’hésitez jamais à demander de l’aide pour mobiliser votre réseau. J’ai eu la chance d’avoir quelques membres de ma famille qui m’ont soutenu. Vous n’êtes pas obligé d’être seul. Les conséquences sur la vie sociale et professionnelle peuvent être très lourdes. Les associations existent pour vous donner la possibilité de prendre du recul.
* A la demande de l’interviewé, les prénoms ont été modifiés.