Début octobre, le recrutement des futurs naturopathes bat son plein. Installée devant son écran, Melody Molins, directrice et fondatrice de l’Institut Hildegardien, anime un webinaire pour ses futurs étudiants. Pendant trente minutes, elle vante les mérites de son école, la seule en France à maîtriser les préceptes d’Hildegarde de Bingen, abbesse allemande du XIIe siècle élevée au grade de docteur de l’Église en 2012 par le pape Benoît XVI.

« Aujourd’hui, les gens s’intéressent de plus en plus aux produits et à la méthode Hildegarde. Il donne également de très bons résultats dans les problèmes digestifs et cardiaques, la gestion du stress et même les problèmes articulaires. Avec notre formation, vous pourrez vous démarquer des autres professionnels en pratique et mis en pratique en quelques mois », garantit le réalisateur.

Chez les futurs étudiants, le discours bien rodé fait mouche, malgré le coût élevé de la formation (jusqu’à 14 000 euros pour la formule en un ou deux ans avec 1 600 heures de cours). Car la naturopathie est devenue, en quelques années, un secteur très concurrentiel. La seule Fédération française des écoles de naturopathie (Fena), qui regroupe huit écoles, reconnaît au dernier décompte 6 000 naturopathes agréés. Et leur nombre aurait augmenté de 20 à 25 % par an au cours des dix dernières années. « Il y en a beaucoup, raconte un professionnel de longue date. Beaucoup de gens veulent se lancer, mais ensuite beaucoup peinent. Et comme le secteur n’est pas régulé, il y a des dérives ». Selon ce praticien, de nombreuses écoles « peu scrupuleuses » proposent désormais des formations rapides mais peu sérieuses et « rien n’empêche non plus certains naturopathes d’exercer leur métier de manière totalement personnelle, en ne prodiguant par exemple que des conseils vegan, par idéologie » .

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Lire les prédispositions de santé dans l’iris

Sohan Tricoire connaît bien le problème. Cette ex-naturopathe a exercé pendant cinq ans – sans pouvoir se passer du RSA – avant de mettre un terme à son activité et de dénoncer les pratiques douteuses dont elle a été témoin. « On connaît surtout Thierry Casasnovas ou Irène Grosjean, dont les méthodes ont été largement dénoncées, mais derrière ces figures de proue, il y a bien des naturopathes plus discrets, qui ont aussi des problèmes. » Les adeptes de la médecine dite intégrative, mettent en avant son rôle complémentaire à la médecine conventionnelle. . Mais ne vous y trompez pas, sa vision de la santé reste assez proche de celle des naturopathes les plus décriés. »

Et ce n’est pas un danger. Même au sein des programmes des écoles de formation les plus reconnues, les éléments non scientifiques voire ésotériques abondent. Le Collège Européen de Naturopathie Holistique Traditionnelle (Cenatho), bien qu’agréé par la Fena, intègre ainsi dans son programme des cours d’énergétique chinoise ou d’aromathérapie, matières liées à la pseudomédecine. Dans d’autres établissements bien implantés, les futurs praticiens peuvent se former à la gemothérapie, une pratique thérapeutique basée sur l’utilisation des bourgeons mais qui n’a jamais fait ses preuves, ou à la magnétothérapie, qui prétend pouvoir guérir à l’aide d’aimants…

« J’ai été particulièrement impressionné par certains enseignements, à commencer par l’iridologie », témoigne Sohan Tricoire. La pratique, qui a ses racines dans l’observation par un garçon d’un hibou blessé il y a plus d’un siècle, prétend déduire des prédispositions de santé dans la partie colorée des yeux d’une personne. « C’est comme le charlatanisme. C’est un peu comme lire les lignes sur la main. Le pire, c’est que cette discipline fait partie du programme de toutes les écoles reconnues par la Fena », s’enthousiasme Mathieu Repiquet, membre du collectif de médecine anti-fake NoFakeMed. . Certains naturopathes font même des diagnostics en utilisant cette méthode. Non seulement ce n’est peut-être pas bon, mais c’est aussi illégal, puisque le principe du diagnostic est réservé aux médecins », précise le scientifique.

Sur le terrain, les naturopathes préfèrent parler de « bilan de vitalité ». « Ils jouent avec les mots. Mais à ma connaissance, aucune condamnation n’a été prononcée pour ce motif. Probablement par manque de contrôle », regrette Mathieu Repiquet. Toujours marqué par son expérience d’étudiant en naturopathie, Sohan Tricoire rappelle les enseignements en « morphopsychologie », une discipline « qui prétend pouvoir déterminer des traits de personnalité et où l’on retrouve des prédispositions en matière de santé à partir de l’observation de traits de personnalité » un visage ‘. Et d’autres théories plus fumeuses qui lient la forme des légumes à l’effet qu’ils peuvent avoir sur l’organisme : « Les noix, par exemple, ressemblent à de la matière grise. Donc ce serait bon pour le cerveau ! »

Amalgame de méthodes plus ou moins scientifiques

Malgré ses fondements très discutables, la naturopathie fait néanmoins le bonheur de nombreux clients. Sur Internet, les témoignages de personnes indemnes de maux de ventre, de maladies chroniques et de maladies encore plus graves ne manquent pas. « On m’a diagnostiqué une maladie auto-immune et on m’a prescrit un traitement à vie, en parallèle je suis allée voir un naturopathe et j’ai suivi ses conseils, hygiène de vie, régime… six mois plus tard la maladie avait disparu », s’étonne encore Sylvie* , ancien naturopathe. Comme elle, de nombreuses personnes entrent dans la profession après avoir récupéré ou amélioré leur état de santé.

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« Certaines personnes voient bel et bien leur situation s’améliorer en suivant un naturopathe, confirme Sohan Tricoire, mais cette amélioration pourrait être attribuée à une meilleure hygiène de vie, à des conseils diététiques, ou à un effet placebo. » Quoi qu’en disent les naturopathes, avec leurs discours souvent simplistes. « Chez les plantes, par exemple, certaines études montrent des effets spécifiques de tels composés chez tels types de personnes présentant de tels symptômes, mais dans la bouche de certains partisans des traitements alternatifs, ce discours se transforme vite en prescription générale. Mais on ne guérit pas. tout avec des plantes », résume Mathieu Repiquet. Pour les spécialistes de ces médecines alternatives, c’est cet amalgame dans l’utilisation de méthodes plus ou moins robustes au niveau scientifique qui contribue à rendre la naturopathie si floue dans sa définition et ses risques. « Bien sûr, la phytothérapie peut être efficace, mais on ne peut pas en déduire que tout ce qui est naturel est forcément bon pour la santé », confirme le pharmacien et spécialiste des substances naturelles, Xavier Cachet.

Enfin, le risque est réel de voir ces professionnels prodiguer des conseils ou des orientations imprudentes. Car ces professionnels ne sont pas toujours en mesure d’identifier certaines contre-indications, ni d’effectuer correctement le travail de prévention qui incombe au médecin.

Des alertes de l’Anses

Lors de notre enquête, un naturopathe nous a par exemple recommandé d’appliquer une crème à la lavande – remède issu des célèbres recettes d’Hildegarde de Bingen – après des séances de radiothérapie destinées au traitement du cancer du sein, contredisant ainsi l’avis des médecins selon lequel l’application de tout produit – surtout gras – risque de multiplier les brûlures.

Nos recherches nous ont aussi menés sur le site d’Herbolistique, un laboratoire de produits naturels qui travaille avec de nombreux naturopathes. On y trouve des flacons de coques de noix vertes destinées à lutter contre les vers intestinaux, à appliquer trois jours avant et après la pleine lune, ou encore des compléments destinés à contrôler le sucre ou à prévenir le diabète. « L’utilisation de ces produits n’est en aucun cas basée sur la science. Il n’existe aucune publication valable évaluant l’efficacité sur telle ou telle maladie d’une part et d’autre part aucune étude sur l’absence de toxicité. Pourquoi ? Parce que ces produits sont pas donc besoin d’AMM », s’émeut un endocrinologue à qui nous avons soumis quelques références extraites du site. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) émet régulièrement des alertes après des effets indésirables survenus après l’utilisation d’huiles essentielles ou de compléments alimentaires. En juin, l’agence avait mis en garde contre des cas d’hépatite après avoir consommé des compléments alimentaires contenant du curcuma.

Mais cela n’enlève rien à l’engouement pour la naturopathie. Cela oblige parfois les médecins à s’adapter. « Il y a tellement de gens qui consomment ce type de produit qu’on ne peut plus écarter le phénomène avec un ton méprisant, la relation médecin-patient en serait mise à mal. Il est désormais fortement recommandé de pratiquer la « décision médicale partagée » qui consiste à écouter le patient, à vérifier qu’il n’y a pas de substance dangereuse dans son complément et à lui demander si cela lui fait du bien. Si c’est le cas, je lui dis de continuer », souligne un professionnel de santé.

Réguler la formation

Pour montrer qu’ils sont conscients d’éventuels abus, les principales écoles de naturopathes ont écrit des lettres dans lesquelles ils s’engagent à ne pas nuire aux clients. Mais pour Mathieu Repiquet, cela ne suffit pas. L’absence de contrôle, les liens étroits entre certains naturopathes et les laboratoires qui fournissent des compléments alimentaires, la promotion de ces pratiques sur la plateforme de rencontres Doctolib, ou encore les discours de façade de certains établissements qui défendent le sérieux quand leurs dirigeants se lancent parfois dans l’ésotérisme revendiquant la réglementation. « Les associations de naturopathes comme l’OMNES reconnaissent diverses difficultés et dérives. Eux aussi en souffrent. Ils n’ont aucun mal à faire leur autocritique », garantit Arthur Thirion, directeur général de Doctolib France, qui vient de mener avec ses équipes une vaste consultation. pour identifier les problèmes.

« Notre profession manque encore d’organisation », reconnaît Charlotte Jacquet, naturopathe en vogue, qui anime régulièrement des conférences sur ce sujet. Un appel entendu par la Fena qui garantit du travail sur les futurs programmes. La fédération reconnaît que les pratiques fondées sur les croyances ne peuvent pas coexister avec la naturopathie, mais elle ne rejette pas l’iridologie. Je ne suis pas sûr que cela suffise à désamorcer la polémique.

Opinions

La chronique de Frédéric Filloux