Dix millions d’années, peut-être vingt. C’est le temps que la nature pourrait prendre pour nous offrir une éclipse du soleil couchant. Pour accélérer les choses, l’artiste Laurent Grasso a reconstitué ce qu’un tel phénomène pouvait produire dans un court métrage d’une dizaine de minutes sur ordinateur. Le résultat, montré il y a deux ans au musée Zadkine, m’a fasciné. Dans un ciel en feu, la lune prend peu à peu possession de la grande étoile jusqu’à ce qu’elle soit entièrement recouverte, puis la libère dès qu’elle commence à disparaître sous l’horizon. Dans une explosion de carmin et de vermillon, la peinture noircit peu à peu pour laisser place à nouveau à l’enchantement rougeoyant du crépuscule. Hypnotique.
Ce n’est pas une éclipse solaire que nous mettons en lumière dans ce numéro, mais celle d’une étoile. Impossible d’oublier Audrey Tautou, l’héroïne du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Bien sûr, pendant des années, elle s’était éloignée des plateaux de cinéma. Une performance dans Da Vinci Code en 2006, quelques prestations en dribbles et drabs dans des seconds rôles parfois brillants ou sur la scène d’un théâtre. Mais alors presque rien. Elle apparaît à nouveau pour Vanity Fair. Lumineux, drôle, le même sourire espiègle qui nous a tant manqué. Qu’a-t-elle fait pendant toutes ces années ? Elle en parle librement, évoque sa relation parfois trouble avec les célébrités et devinez quoi, elle lève le voile sur son désir intact de cinéma, ses projets dans la photographie et l’illustration. Parce qu’elle est déterminée à revenir. Pas de tristesse dans son retrait de la lumière, pas de revanche à assouvir et encore moins une belle stratégie de communication. Submergée par sa renommée planétaire, elle voulait juste prendre du recul par rapport aux caméras pour se consacrer à ses autres passions — et à sa fille qu’elle a adoptée au Vietnam. « Je veux vivre mon rêve, pas celui projeté sur moi », explique-t-elle à Jacqueline Rémy avec une fraîcheur désarmante. En ces temps de zapping, d’agitation numérique et de haine en ligne, nous devrions profiter de cette leçon d’humilité et d’humanité.
S’il pouvait se cacher derrière la lune, Mahammad Mirzali n’hésiterait pas un instant. En 2016, le jeune homme de 28 ans a été contraint de fuir l’Azerbaïdjan pour éviter d’être jeté en prison. Notre journaliste Hugo Winterbert l’a retrouvé dans son refuge à Nantes. A trois reprises, les services secrets d’Ilham Aliyev, l’autocrate qui maintient ce petit pays du Caucase d’une main de fer pleine de gaz et de pétrole, ont tenté de le tuer sur le sol français. Mais il en faudrait plus pour le faire taire. Sous protection policière, avec un courage qui force l’admiration, il continue de dénoncer la corruption du régime de Bakou et sa rage belliqueuse contre l’Arménie voisine, dans des vidéos YouTube visionnées des centaines de milliers de fois. « Je suis sûr qu’ils vont me tuer, demain ou dans quelques années, ils s’en sortiront bien », soupire-t-il, glaçant. Pour donner un peu de fantaisie après ce lourd témoignage, nous avons mis en scène notre série mode dans le décor d’un palais de justice. Les stars américaines ne sont-elles pas souvent ultra-stylées alors qu’elles sont traînées dans les salles d’audience, sous les flashs des photographes ? Le mannequin australien Jasmine Dwyer, dont l’innocence n’est pas seulement présumée, vient ici plaider sa cause en tailleur Chanel, lunettes de soleil Saint Laurent et chaussures Gina. Si les jurés ne l’acquittent pas avec ça…