De mieux en mieux connus et documentés, les phénomènes de violences, par essence protéiformes, traversent tous les pans de la société, avec des répercussions à la fois physiques, morales et psychologiques. Organisée à travers toute la Corse durant plusieurs jours, la première édition de l’Agora de la santé, organisée par l’ARS, a nourri très largement le débat et ouvert de nouvelles perspectives.

« Reconnaître, protéger, accompagner ». Face à la violence, autant d’enjeux cruciaux pour la prise en charge des victimes, mais aussi des auteurs. De plus en plus connu et documenté, le phénomène se caractérise avant tout par sa dimension multiforme, qui traverse toutes les couches de la société.

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Au sein de la famille, en milieu scolaire, au travail, dans les établissements de santé, dans la rue ou encore sur les réseaux sociaux, la violence, qu’elle soit physique, morale ou psychologique, touche toutes les générations et touche des individus et des groupes isolés. Parfois vecteurs de traumatismes indélébiles, ils sont un facteur de risque majeur de maladie, d’addiction, de suicide, ainsi qu’une menace pour la cohésion sociale. Pourtant peu traitée de manière globale, la violence est aussi rarement considérée comme un déterminant de la santé.

C’est précisément le prisme qui a guidé l’Agence Régionale de Santé (ARS de Corse) dans l’organisation de la première édition de l’Agora de la santé, intitulée « Violence et santé » et qui comporte plusieurs temps forts à travers la Corse*.

En marge des trois jours d’un colloque régional organisé les 4, 5 et 6 octobre à Ajaccio, en présence de nombreux intervenants locaux et extérieurs – professionnels de la santé, de l’éducation, du social et de la justice, acteurs associatifs, institutionnels, chercheurs ou élus. – le public était également convié à des rencontres thématiques – liées aux films, débats, conférences et autres ateliers -, organisées à Ajaccio, Bastia, Corte, L’Ile-Rousse, Calvi et Porto-Vecchio, entre le 4 et le 15 octobre. une conférence-débat régionale s’est également tenue le 10 octobre à Bastia.

« L’objectif de cette première édition, dont la tenue est prévue, est d’ouvrir un large espace de rencontre, d’échange et de réflexion, de partage d’informations, d’expériences et de pratiques, de réfléchir ensemble sur la violence et la santé et de dessiner de nouvelles perspectives. explique la directrice régionale de l’ARS, Marie-Hélène Lecenne. L’objectif est de promouvoir l’attitude des citoyens face aux questions de santé, dans la mesure où le système de santé n’est pas fermé sur lui-même et doit être en contact avec la société. Diverses instances, comme la conférence régionale de santé et les conseils territoriaux de santé, incarnent déjà ce principe de démocratie sanitaire. Au-delà du diagnostic, cela s’inscrit dans la logique d’organisation de la proposition et de mise en œuvre de la méthode adaptée à la réalité et aux besoins du territoire. Cela est notamment lié au développement de conventions locales de santé avec les différentes communautés des micro-régions des îles ».

« Volonté collective »

Loin d’être épargnée par la violence, la Corse est en effet marquée par des mouvements sociaux et féministes dénonçant les violences sexuelles et sexistes, mais aussi par un nombre important d’enfants qui leur sont signalés aux urgences pédiatriques pour négligence, maltraitance et viol, une augmentation du nombre de plaintes déposées pour violences conjugales, harcèlement à l’école, prostitution de mineurs qui ne disent pas leur nom sur les réseaux sociaux, ou encore violences économiques et systémiques liées à la précarité et à la pauvreté. Autant de questions qui ont été abordées lors du récent colloque régional et qui font l’objet d’une véritable « volonté collective » d’œuvrer sur le terrain pour apporter des améliorations et des solutions.

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« Les acteurs du champ de la santé et de la justice, les associations, la commission chargée des questions de violences en Collectivité de Corse, témoignent précisément de cette mobilisation, poursuit Marie-Hélène Lecenne. Depuis la loi du 7 février 2022 qui redéfinit la notion générale de maltraitance, il existe par exemple des outils, comme la nouvelle certification des établissements sanitaires et médico-sociaux, en lien avec le dispositif de référencement de la Haute Autorité de Santé. (A). Cela a également des répercussions sur le système éducatif. Face à des violences parfois invisibles, notamment contre les enfants, on se rend compte que la surveillance doit être solidaire, afin d’assurer un milieu bien traité, et que la prise en charge doit être mondiale, dans une logique de coopération. A cet égard, la prévention doit être un axe fort des politiques de santé publique, afin d’éviter la reproduction de la violence. C’est pourquoi, en plus de la « première ligne » qui comprend des professionnels qui sont en contact direct avec les usagers – médecins, infirmiers -, il est important d’avoir une « deuxième ligne » d’experts qui apportent des ressources, des clés et permettent de qualifier les situations « .

« Transgénérationnel et transversal »

Un geste d’autant plus indispensable que, selon un rapport de l’INED (Institut national d’études démographiques) sur « Violences et rapports sexuels » publié en 2020, « la violence est niée mais reste fréquente et n’a que très peu diminué depuis 2000, indiquant que les politiques publiques doivent être plus offensives et donner aux différents acteurs les moyens de les mettre en œuvre sur le terrain ». Au regard des inégalités territoriales, de prise en charge et de suivi, le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) recommande également le développement d’une mise en réseau entre les différents acteurs sociaux, médicaux, judiciaires et les collectivités territoriales.

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« On voit bien que la violence a de multiples expressions et que sa méthode nécessite donc des angles, des dispositifs et des savoirs différents, souligne le Dr. Jean-Louis Wyart, directeur de la santé publique à l’ARS Corse. Il est difficile d’être exhaustif, mais la connaissance du phénomène s’améliore d’année en année. La société d’aujourd’hui n’est peut-être pas plus violente qu’hier, mais les outils ont changé, tout comme le numérique. La violence n’est pas seulement une question de sécurité, car elle touche toutes les populations avec des troubles psychologiques qui peuvent être graves. Dans le monde du travail, par exemple, les risques psychosociaux peuvent aller de l’absentéisme au suicide. »

Mobiliser l’ensemble des partenaires, privilégier la formation aux psycho-traumatismes, développer les compétences psychosociales, structurer l’offre de soins, renforcer les ressources mais aussi « nommer les choses ». Autant de pulsions pour « agir sur les causes et inverser la tendance » de la violence, un problème « multiforme », « transgénérationnel et transformateur », souligne le Dr Wyart. Une affaire qui suppose avant tout cette « reconnaissance de l’autre, pour sortir du rapport de force et du fameux triangle de Karpman, sauveur, victime, bourreau », conclut-il.

Publication des actes de l’Agora prévue en 2023.