Des centaines de vitrines définitivement fermées dans les galeries marchandes et centres urbains à travers la France, des milliers de salariés sur le terrain et un gigantesque stock de vêtements arraché aux enchères par le déstockeur Noz : la liquidation de Camaïeu fin septembre, après quarante ans de existence, a provoqué un choc électrique dans le secteur de l’habillement. La fin brutale de la marque, qui fut un pont dans l’âge d’or du prêt-à-porter tricolore, lorsque les marques milieu de gamme ouvraient en force de nouvelles boutiques, était pourtant un sujet écrit et connu de longue date. « Camaïeu était une entreprise zombie qui a survécu des années rien qu’en restructurant sa dette. Le secteur.

Un pessimisme facile à comprendre. Depuis des mois, la liste des marques en difficulté ne cesse de s’allonger. La famille Mulliez a entamé fin octobre des négociations pour revendre Pimkie, leur ancienne pépite aujourd’hui en déclin, à un consortium formé par Lee Cooper France, Kindy et Ibisler Tekstil, le fournisseur turc de la marque. « Nous sommes inquiets et craignons un nouveau plan social », soupire Marie-Annick Merceur, déléguée CFDT. Les marques San Marina et Cop.Copine ont récemment été placées en redressement judiciaire, tandis que Burton a été placé en procédure de sauvegarde. Au total, selon une étude d’Altares, les pertes d’activité du secteur de l’habillement ont augmenté de 109% au troisième trimestre, par rapport à l’été précédent. Et d’autres pourraient très bien suivre… « Le marché est en pleine restructuration, et cela peut être bénéfique », analyse Gilles Cohen, fondateur de Klartis Consulting, société spécialisée dans le domaine de la mode.

« Les enseignes françaises ont fait preuve d’un certain laisser-aller »

Bien sûr, cette catastrophe de l’industrie du vêtement n’est pas entièrement nouvelle. Depuis la fin des années 2000, le commerce de détail français connaît une crise multifactorielle, comme en témoigne la lente agonie de l’ancien fleuron Vivarte – groupe qui réunissait notamment André, La Halle et Naf Naf – dans la décennie précédente, mais aussi la difficultés de Celio, Jennyfer ou encore Promod ces dernières années. Les marques françaises de prêt-à-porter abordables se sont en effet lancées dans une course aux prix les plus bas depuis des années… depuis peu l’Irlandais Primark et le Chinois Shein, bien mieux armés pour inonder le marché de collections mode sans cesse renouvelées et vendues à petits prix. Le secteur de l’occasion, porté à la fois par le resserrement des budgets et la volonté de certains de consommer plus responsable, a également commencé à prendre une part du gâteau, comme l’illustre l’essor fulgurant de l’application Vinted. « Le numérique est aussi une autre mutation que certaines marques françaises de vêtements ont du mal à accepter », a déclaré Frank Rosenthal, consultant en commerce.

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« Face à tant de défis, les enseignes françaises ont fait preuve d’un certain détachement : elles ont cru pouvoir continuer à se laisser emporter par la vague de consommation et ont laissé de côté certains fondamentaux », précise Gilles Cohen. Résultat : des vitrines pleines de produits quasiment identiques et des marques sans réelle identité. « Dans les années 1990, tout était affaire de belles machines bien rangées, mais quand H&M et Zara font mieux le boulot, avec un contenu plus glamour, à quoi sert toute cette multitude de petites boutiques qui vendent la même chose que tout le monde ? », analyse Cédric Ducrocq, PDG de Diamart, cabinet de conseil spécialisé dans la distribution.Pour faire face à cette vague, les marques ont également eu recours à une stratégie qui s’est avérée contre-productive : la course aux mètres carrés avec l’ouverture de nouveaux magasins. face à un énorme défi de rationalisation de sa flotte », poursuit Cédric Ducrocq.

À Lire  Actualités - page 73/73 - Marie France, magazine féminin

Avec l’inflation, les factures flambent

Une lente descente aux enfers à laquelle se sont ajoutés des orages supplémentaires depuis 2020. La crise du Covid a porté un premier coup aux marques de vêtements, avec confinements et fermetures administratives de magasins. Les distributeurs de prêt-à-porter ont naturellement été aidés comme d’autres entreprises, « mais aujourd’hui tout l’argent investi dans le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) ne peut servir à être investi et à faire face aux défis de la transformation numérique et écologique auxquels nous sommes confrontés » , s’inquiète Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, qui représente les grands magasins et les marques de mode et de chaussures. La pandémie et l’installation du télétravail ont aussi bousculé les habitudes de consommation des Français, qui peinent à revenir à la normalité. Au cours des six premiers mois de l’année, les ventes et les mouvements dans les magasins n’étaient pas encore revenus aux niveaux de 2019.

À cet essoufflement post-Covid s’est ajouté une deuxième houle qui ébranle les fondements mêmes du secteur : le grand retour de l’inflation. D’un côté, le consommateur voit son pouvoir d’achat diminuer, il est obligé de se serrer la ceinture et d’effectuer des changements qui ne sont pas forcément en faveur d’un pull ou d’une paire de chaussures à la mode ; d’autre part, les détaillants voient tous leurs coûts monter en flèche. Une étude récente du cabinet Eight Advisory pour l’Alliance du Commerce recense des dépenses en hausse : le prix du coton a augmenté de 107% et celui du polyester de 38%, la facture de gaz a plus que doublé en un an, la coût des transports multiplié par cinq depuis début 2019, le Smic a augmenté de 10 %… « Sans compter les augmentations de loyer, renchérit Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, la fédération du commerce spécialisé. Tous ces ingrédients placés de bout en bout comprimer les marges. »

« Il faudrait plutôt essayer d’investir pour se construire une identité différenciante »

Face à cette tourmente, reste à savoir lesquels pourront sauver les meubles… et comment. Impossible pour eux d’essayer de concurrencer les rouleaux compresseurs Primark ou Shein sur le prix. « Et monter sur le marché, c’est aussi difficile : Vivarte a essayé et échoué, car il faut tout changer, les vendeurs, les collections, le service achat, les fournisseurs, et pas seulement la vitrine, analyse un proche du dossier. , il faut essayer d’investir pour construire une identité différenciante. »

Le succès du japonais Uniqlo, qui mise sur la durabilité et la technicité de ses produits, est un exemple de cette stratégie payante. Certaines marques françaises tentent de se repositionner pour sortir la tête. « Jennyfer a beaucoup travaillé ses codes et son style pour s’adresser à une clientèle très jeune, tandis que Promod a travaillé ses collections avec une mode responsable haute en couleurs », énumère Cédric Ducrocq.

Encore faut-il avoir le courage de payer en ces temps troublés de hausse des prix et de problèmes d’approvisionnement… « Une bonne stratégie peut être de commander moins en volume, et d’être plus agile, avec des fournisseurs plus proches qui pourront livrer plus vite et mieux gérer sa production et son stock », souligne Samah Habib, spécialiste de la mode et du luxe chez Accenture. Des efforts qui paieront… mais pas pour tout le monde. Avec un gâteau réduit et une pléthore d’offres, assurent les spécialistes interrogés, toutes les marques ne sortiront pas indemnes de cette crise, une catastrophe sociale est à prévoir. Seule bonne nouvelle : les magasins vides peuvent enfin faire baisser les loyers. Un maigre prix de consolation.

Opinions

Sébastien Abis, directeur général du Club Demeter et chercheur à l’Iris

La Chronique de Christophe Donner