A Paris, le petit réemploi, comme la réhabilitation à grande échelle, est devenu la norme à respecter à tous les niveaux de l’architecture et de l’urbanisme. Même les directeurs d’établissements, dont les redéploiements ne semblent présenter aucun degré de vétusté. Et encore…

La période Missika dans la ville de Paris s’est terminée par cette phrase : « reconstruire est désormais la norme, on ne démolira plus ». Surtout plus de construction, rien de nouveau, telle était la volonté forte de celui qui inventa l’eau chaude en même temps que l’urbanisme moderne. Le robinet ne s’est pas tari. En témoigne l’exposition intitulée « Conserver Adapt Transduire » et inaugurée le 18 octobre 2022 au Pavillon de l’Arsenal à Paris. Plus de deux ans après la démission du grand chef, la recette fonctionne toujours.

Bon, réhabilitation, restructuration, transformation… C’est un peu l’histoire des vieilles marmites qui font les meilleures confitures. La réutilisation de bâtiments anciens n’est pas née d’une brillante intuition qu’une édile de la ville de Paris a eue un matin en se brossant les dents, mais de nombreux monuments précieux de la capitale, dont le Louvre, les Archives, le Carré Richelieu, pour ne citer qu’eux les rares et moins historiques édifices qui font d’Épinal les images de la ville lumière, seraient depuis longtemps obsolètes.

Depuis que la mode de construire à tout prix est passée, la paresse des discussions professionnelles et publiques des institutions architecturales et urbaines tourne désespérément autour de quelques sujets, parmi lesquels la réhabilitation comme summum du réemploi à grande échelle. Ironie du sort, puisque les hauts fonctionnaires parisiens ne se contentent pas du travail de réemploi sous tous les angles, ils vont jusqu’à s’y livrer dans un touchant don de soi. Cela symbolise le mercato d’automne pour les directeurs d’établissement.

Rappelons tout d’abord que Jean-Louis Missika commandera la politique de la ville de la maire de Paris Anne Hidalgo pendant six ans (2014-2020). Pour un homme de médias, ce portefeuille était à son goût, soit une connaissance de la sémantique et la domination des communicants sur les chercheurs et les universitaires, qui finiraient par montrer une aisance étonnante à se plier sous l’autorité de la novlangue.

De toute évidence, un revirement constructif s’imposait pour faire réélire le patron, et Jean-Louis Missika a fait place à Emmanuel Grégoire, dont la longue expérience en urbanisme ici aussi est pour le moins sommaire. Un coup d’œil à son CV en ligne apprend aux curieux qu’il a été conseiller dans le cabinet de Bertrand Delanoë, puis adjoint d’Anna Hidalgo, d’abord responsable du personnel et de l’administration puis du budget. Au passage, il est aussi président de l’AccorHotels Arena, le stade omnisports de Bercy pour ceux qui ne s’y habituent pas encore.

Le relais est assuré par Marion Waller, philosophe environnementale diplômée de la prestigieuse Sciences Po. Paris et passé par la rue d’Ulm, rejoignant Jean-Louis Missika en tant que consultant pour l’architecture, le patrimoine, la transformation du paysage. comme un an après son entrée sur le marché professionnel en France (et six mois à l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Quelle expérience et quelle légitimité pour ceux qui orchestrent la politique de la ville ? capitale de France, rien que ça !

Au moins Ann-José Arlot, Dominique Alba et Alexandre Labasse ont eu une (brève) première vie d’architectes avant de prendre une tangente bureaucratique.

Des portefeuilles institutionnels attractifs sont ainsi transférés entre initiés. Preuve avec un jeu de chaises musicales interrompu par un grand orchestre de hautes autorités parisiennes. Une valse à trois temps !

Et une! En juillet 2022, Dominique Alba démissionne de l’APUR*, dont elle a été directrice générale pendant dix ans, pour rejoindre ses premiers amours dans l’une des agences où elle est née : les Ateliers Jean Nouvel. Et deux! Le 4 octobre 2022, le conseil d’administration de l’association APUR annonçait l’arrivée d’Alexandre Labasse, alors à la tête du Pavillon de l’Arsenal depuis 2012, où il avait déjà succédé à… Dominique Alba. A peu près à la même époque, Marion Waller est enfin nommée à la tête du grand navire de l’architecture parisienne, succédant à… Alexandre Labasse.

Alors, pour ceux qui auraient pu brièvement espérer voir un peu de renouveau prospectif, de critique et de débat grâce à un revirement, c’est loin d’être une bonne nouvelle à craindre.

Avec eux, la financiarisation de la ville est née, après l’orchestration minutieuse d’un réseau d’architectes et de maîtres d’ouvrage réunis par Ann-José Arlot et Dominique Alba. Un réseau qui ne s’est pas rétréci, mais qui laisse de côté un grand nombre d’experts et les idées qui les accompagnent.

À Lire  Par Louise Linderoth, les personnes en fauteuil roulant sont à la mode !

Après la vente des derniers terrains vacants aux financiers, faisant de Paris la troisième ville la plus chère du monde en termes de prix moyens au mètre carré, derrière Hong Kong et Londres et juste devant New York, la classe moyenne a repoussé aux marges et la population pauvre des profondeurs des banlieues en voie de paupérisation, comment les partenaires** membres de l’APUR, tous ou presque tous issus d’organismes publics, peuvent-ils faire preuve d’autant d’aveuglement face à la mort cérébrale du débat politique et de la société en oubliant l’urgence de problèmes actuels et futurs d’aménagement du territoire?

Il émane notamment d’une association à but non lucratif dont le bureau est composé de Christophe Najdovski (adjoint au maire de Paris, chargé de la végétalisation, des espaces publics, des espaces verts, de la biodiversité et de l’état des animaux), président, Éric Cesari (adjoint au maire de Courbevoie et vice-président président de la Métropole du Grand Paris), vice-président, et Pénélope Komitès (adjointe au maire de Paris chargée de l’innovation, de l’attractivité et de la résilience de Paris 2030), trésorière.

Quant au Pavillon de l’Arsenal, l’action s’en rapproche, mais certains noteront qu’il y a là sans doute un détail important, qui symbolise que la gouvernance ne s’exprime pas dans des institutions ou des entreprises, mais dans des personnalités***.

Si la forme de suremploi des réalisateurs laisse peu d’espoir pour l’évolution du débat, en termes de contenu ce jeu de dupes démontre surtout une inquiétante absence des préoccupations quotidiennes des habitants du Grand Paris. En effet, rien de concret n’a été proposé ces derniers mois pour répondre aux défis révélés par le Covid et remis sur le devant de la scène par la guerre en Ukraine.

Rien à l’horizon pour approcher la relative autonomie alimentaire et énergétique de la métropole, rien à l’horizon pour apporter des réponses concrètes au front du mal-logement ou des accès aux toits de plus en plus compliqués, même pour ceux qui devraient pouvoir se le permettre. Rien sur la gestion désastreuse des campements temporaires en périphérie, sur l’insécurité générale. Rien en vue sur la misère de l’urbanisme de façade, de plus en plus dépourvu d’humanité.

L’aménagement du territoire est en péril, les politiques publiques s’en lavent les mains, et ces nominations peu recommandables le martèlent. La seule vision d’avenir qui reste est que Marion Waller dirigera l’APUR dans dix ans !

*Lire notre article Atelier parisien d’urbanisme (APUR), une œuvre profonde même si elle est creuse **Les membres de l’Apur sont : Ville de Paris, Préfecture de la Région Ile-de-France, Direction Régionale et Interdépartementale de l’Equipement et de l’Aménagement en l’Ile-de-France, INSEE, Ministère de la Culture, Préfecture de Police de Paris, Métropole du Grand Paris, Société du Grand Paris, CCI de Paris, RATP, Plaine Commune, EPT Paris Terre d’envol, EPT Est-Ensemble, EPT Grand Orly Seine-Bièvre, Syndicat Interdépartemental de l’Assainissement de la Banlieue Parisienne, Syndicat Intercommunal de la Périphérie de Paris pour l’Energie et les Réseaux de Communication, Mobilité Ile-de-France, Syctom, APHAP, Groupe Caisse des Dépôts, Eau de Paris, Epaurif, Grand Paris Aménagement, Paris Habitat, Haropa Port, SNCF Immobilier, services publics gaz, électricité et énergies locales en Ile-de-France EPT Grand-Paris Grand-Est, SPL Marne au Bois, Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Ademe, SPL Paris-La-Défense et Voies navigables de France ).*** Le conseil d’administration du Pavillon de l’Arsenal est t si réunis : Patrick Bloche (Président du Pavillon de l’Arsenal, Adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’Education, de la Petite Enfance, de la Famille et des Nouveaux Apprentissages et du Conseil de Paris), Emmanuel Grégoire (Premier Adjoint au Maire de Paris, chargé de l’Urbanisme urbanisme), etc.), Dominique Alba (directeur général de l’APUR), François Brouat (président du conseil d’administration de l’ENSA), Jean-Philippe Gautrais (président du Forum métropolitain du Grand Paris), Laurent Le Bon (président du Centre national des arts et de la culture Georges Pompidou), Jacqueline Osty (urbaniste et paysagiste), Francis Rambert (directeur de l’IFA), Céline Tignol (directrice du service immobilier de la RAT P), Jean-Marie Tritant (président du conseil d’Unibail-Rodamco-Westfield), Jean-Luc Tuffier (Président de l’Association Française pour la Construction du Grand Paris), Marc Villand (Président de l’Association des Promoteurs Immobiliers d’Ile-de-France), Myrto Vitart (Architecte) .